Apocalypse patriotique en Côte d’Ivoire

par Marie Miran-Guyon

Depuis les temps coloniaux, les prophétismes ont été un fil rouge primordial de l’histoire religieuse et politique de la Côte d’Ivoire. L’ostension de nouveaux prophétismes pentecôtistes dans la décennie 2000, consubstantiels du régime de Laurent Gbagbo, confirme l’actualité de cet héritage. Cet article étudie les prophéties chrétiennes en soutien à Gbagbo qui ont prodigalement fleuri avant, pendant et même après la violente crise postélectorale de 2010-2011. Il interroge plus spécifiquement les révélations et le phénomène sociétal inédit associé au pasteur-prophète Malachie Koné, en prenant soin de situer son pentecôtisme à outrance au sein de la mouvance plurielle et divisée des protestants et évangéliques ivoiriens.




Cartes et photos associées
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Le 21 octobre 2010, dix jours avant le premier tour du scrutin présidentiel, un groupe de pasteurs se déplaça à l’Hôtel du Golf, quartier général de campagne du Rassemblement des républicains (RDR), parti d’Alassane Ouattara, pour bénir ce dernier et prier pour son succès électoral. À droite figure le pasteur Alla Sourkou, auteur en 2011 d’un recueil de prophéties sur le destin présidentiel de Ouattara. À gauche de Dominique Ouattara, épouse catholique du candidat, se tient Cécile Payne, secrétaire nationale du RDR en charge des relations avec les cultes chrétiens.

Photo parue dans le journal Le Patriote, Côte d’Ivoire, 22 octobre 2010.

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Fin décembre 2010, l’Association des femmes chrétiennes de Côte d’Ivoire organisa un sit-in de prières en soutien à Laurent Gbagbo, transformant la place de la République à Abidjan en lieu de culte à ciel ouvert. Dans les mains des fidèles, bibles et drapeaux ivoiriens. Une pantomime ou « homme-statuette » incarne le message collectif d’une Côte d’Ivoire souverainiste (corps peint aux couleurs du drapeau national, planchettes de cartes du pays), délivrée de la servitude des tutelles étrangères (les chaînes rompues aux poignets, rappel du jubilée biblique), croyante et soumise à Dieu (le livre des Saintes Écritures). Sur le canari posé sur la tête de la pantomime est inscrit « Y a rien en face », slogan de campagne de l’alliance pro-Gbagbo, dite de la « majorité présidentielle ». Le sigle LMP et le nom Gbagbo figurent sur la carte attachée au canari. Tracé à même le torse, le slogan « Respecte la constitution » incarne la fusion des ferveurs pentecôtiste et nationaliste.

Photo de Luc Gnago, Abidjan, Côte d’Ivoire, 27 décembre 2010.

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Damien Glez est un dessinateur de presse franco-burkinabè, dont les dessins paraissent au Burkina Faso, dans le reste de l’Afrique, en Europe et aux États-Unis. Ce dessin est initialement paru sur le site de Slate Afrique, le 1er avril 2011, à l’appui d’un texte inédit du caricaturiste intitulé « Gbagbo candidat au martyr chrétien ? ».

Dessin de Damien Glez paru sur le site Slate Afrique, 1er avril 2011.

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Une certaine presse ivoirienne, dont fait partie Le Jour Plus, relaie des informations religieuses, avec un attrait marqué pour le sensationnel, pouvant souvent figurer en première page (ici l’édition du 22 août 2012). Cette presse fit ses choux gras des révélations de Malachie Koné et d’autres pasteurs-prophètes. De nombreux Ivoiriens ne pratiquent que la « titrologie », c’est-à-dire la lecture des seules « unes » des journaux nationaux, punaisés par le vendeur de rue sur une planche en bois. Des groupes éphémères peuvent se former autour de ces placardages de « unes » et occasionner des causeries.

« une » du journal Le Jour Plus, Côte d’Ivoire, édition du 22 août 2012.

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