N° 246, 2013/2, p. 53-80 Sud-Soudan : les acteurs de la construction et de la formation de l’État |
Cette contribution esquisse quelques problématiques majeures inhérentes à la formation du nouvel État du Sud-Soudan à travers une sociologie des élites administratives. Loin d’être un long fleuve tranquille, l’élaboration de nouvelles institutions se révèle le fruit d’une conjonction d’intérêts variés, et souvent opposés, dans laquelle vieilles oppositions, dynamiques issues du conflit et nouveaux modèles de gestion de l’État s’agencent avec difficulté.

Les infrastructures du nouvel État sud-soudanais sont peu développées, même dans les villes. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, Juba, la capitale du Sud-Soudan, également capitale de l’État de l’Équatoria centrale, ressemble à un gros village étalé en quartiers le long du Nil Blanc. Néanmoins, sa croissance exponentielle pose des défis colossaux, puisque la ville qui n’abritait que 10 000 habitants en 1956, en héberge aujourd’hui près de 500 000. Considérée comme la seule ville sûre durant la deuxième guerre civile, Juba attira pendant cette période de nombreuses personnes fuyant la guerre civile, mais aussi des populations fuyant les conflits des pays voisins. Les migrants étaient alors installés dans des camps selon leur appartenance ethnique principalement, et autorisés à s’installer temporairement sur des terres abandonnées par des habitants de Juba ayant fui la ville (El-Bushra, Sahl, 2005, p. 33). Après la signature du CPA, en 2005, la croissance de Juba s’est accélérée avec un quasi-doublement de la population en six ans. De nombreux anciens habitants sont revenus, ainsi que des Sud-Soudanais qui avaient fui au Nord ou dans les pays voisins. Ces returnees espèrent trouver dans la capitale un meilleur avenir, mais aussi de meilleures conditions de vie que dans les zones rurales. Un tel essor urbain attire également de nombreuses entreprises étrangères qui voient dans le nouvel État un potentiel eldorado pour les affaires
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, périphéries de Juba, janvier 2001.

Le Sud-Soudan connaît depuis 2008 un afflux massif de Sud-Soudanais qui avaient fui la région et ses combats ainsi que le sous-développement. Beaucoup d’entre eux avaient gagné les régions du Nord du pays et notamment les faubourgs de la capitale, Khartoum. La fin de la guerre au Sud les a incités à revenir dans leur région d’origine d’autant qu’au Nord leur statut demeure aujourd’hui très incertain (lire le Repère d’Elena Vezzadini, p. 123-124). Ainsi près de 2 millions de déplacés internes sont donc revenus au Sud et environ 350 000 réfugiés venus des pays voisins. Dans un pays où tout manque, de telles migrations et l’intégration des migrants qui lui est liée posent des défis majeurs au nouvel État (accès à la terre, partage du pouvoir)
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.

Ce centre de vote se situe dans la circonscription de Malualkon dans le nord-est du Bahr el-Ghazal septentrional, à quelques kilomètres de la frontière du Soudan. Il fut mis en place pour le référendum sur l’indépendance du Sud mené du 9 au 15 janvier 2011. Comme dans la plupart des centres de vote installés dans les régions rurales, des bureaux de vote « en kit » fournis par la Commission nationale électorale comprenant des isoloirs en carton, des dossards pour identifier les responsables du bureau, des urnes en plastique à sceller et des banderoles pour délimiter physiquement le bureau, sont installés en plein air sous des arbres. Les résultats définitifs publiés le 7 février donnent un pourcentage de 98,83 % en faveur de l’indépendance
Photo de Matthias Biesemans, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.

En janvier 2005, après plus de vingt ans de guerre, un accord de paix, le Comprehensive Peace Agreement (CPA), était signé entre le National Congress Party (NCP), le parti hégémonique du Nord-Soudan et le Sudan People’s Liberation Movement (SPLM), le mouvement rebelle majoritaire dans le Sud. Cet accord prévoyait une répartition des pouvoirs entre ces deux formations politiques et excluait du partage les autres mouvements rebelles présents dans le pays, notamment au Darfour, mais également les autres partis d’opposition du Nord comme du Sud. Le texte accordait notamment le poste de vice-président du pays au leader du SPLM. Dès lors, le 8 juillet 2005, John Garang arrivait à Khartoum pour prêter serment comme nouveau vice-président du Soudan le lendemain. Garang avait toujours été favorable à l’unité du Soudan. Pourtant, face à l’intransigeance des autorités de Khartoum et aux pressions internes de son mouvement, il avait finalement accepté l’idée qu’une consultation populaire des Sud-Soudanais soit prévue par le CPA pour déterminer le maintien ou non de la région dans le pays. Sa mort brutale dans un accident d’hélicoptère, le 30 juillet 2005, à peine trois semaines après sa prise de fonction comme vice-président, fit craindre une reprise de la guerre. De violentes émeutes éclatèrent notamment à Khartoum à l’annonce de l’accident. Salva Kiir succéda néanmoins à Garang et devint vice-président pendant toute la période intérimaire. Élu en 2010 après des élections générales qui connurent de nombreuses fraudes au Sud (surtout pour les postes de gouverneurs), il est aujourd’hui président du nouvel État. Les deux alliés du CPA réussirent donc à passer l’épreuve et maintenir le cap fixé dans l’accord de paix. Le camp de l’unité du Sud dans un nouveau Soudan perdait néanmoins son principal partisan et sans surprise, aux termes d’une période intérimaire de six ans, le SPLM

Le taux de participation au référendum sur l’indépendance du Sud prévu par les accords de paix passés en janvier 2005 dépassa les 98 %. Associée aux résultats du référendum, cette participation record, représentée sur cette photographie par cette longue file de personnes attendant de pouvoir voter, témoigne de la volonté des Sud-Soudanais de conquérir littéralement leur indépendance. Le taux de participation souligne également le manque d’alternative crédible à un projet dans lequel le Soudan serait resté uni. Pendant les mois précédents le vote, le SPLM a battu campagne au Sud avec beaucoup de ferveur tandis que le NCP, son associé du Nord dans l’accord de paix signé en 2005, fut beaucoup plus timide par peur notamment des représailles dans un Sud entièrement contrôlé par le SPLM pendant la période intérimaire prévue par le CPA
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, près de la route reliant Aweil et Akuen, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.

Les infrastructures du nouvel État sud-soudanais sont peu développées, même dans les villes. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, Juba, la capitale du Sud-Soudan, également capitale de l’État de l’Équatoria centrale, ressemble à un gros village étalé en quartiers le long du Nil Blanc. Néanmoins, sa croissance exponentielle pose des défis colossaux, puisque la ville qui n’abritait que 10 000 habitants en 1956, en héberge aujourd’hui près de 500 000. Considérée comme la seule ville sûre durant la deuxième guerre civile, Juba attira pendant cette période de nombreuses personnes fuyant la guerre civile, mais aussi des populations fuyant les conflits des pays voisins. Les migrants étaient alors installés dans des camps selon leur appartenance ethnique principalement, et autorisés à s’installer temporairement sur des terres abandonnées par des habitants de Juba ayant fui la ville (El-Bushra, Sahl, 2005, p. 33). Après la signature du CPA, en 2005, la croissance de Juba s’est accélérée avec un quasi-doublement de la population en six ans. De nombreux anciens habitants sont revenus, ainsi que des Sud-Soudanais qui avaient fui au Nord ou dans les pays voisins. Ces returnees espèrent trouver dans la capitale un meilleur avenir, mais aussi de meilleures conditions de vie que dans les zones rurales. Un tel essor urbain attire également de nombreuses entreprises étrangères qui voient dans le nouvel État un potentiel eldorado pour les affaires
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, périphéries de Juba, janvier 2001.

Le Sud-Soudan connaît depuis 2008 un afflux massif de Sud-Soudanais qui avaient fui la région et ses combats ainsi que le sous-développement. Beaucoup d’entre eux avaient gagné les régions du Nord du pays et notamment les faubourgs de la capitale, Khartoum. La fin de la guerre au Sud les a incités à revenir dans leur région d’origine d’autant qu’au Nord leur statut demeure aujourd’hui très incertain (lire le Repère d’Elena Vezzadini, p. 123-124). Ainsi près de 2 millions de déplacés internes sont donc revenus au Sud et environ 350 000 réfugiés venus des pays voisins. Dans un pays où tout manque, de telles migrations et l’intégration des migrants qui lui est liée posent des défis majeurs au nouvel État (accès à la terre, partage du pouvoir)
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.

Ce centre de vote se situe dans la circonscription de Malualkon dans le nord-est du Bahr el-Ghazal septentrional, à quelques kilomètres de la frontière du Soudan. Il fut mis en place pour le référendum sur l’indépendance du Sud mené du 9 au 15 janvier 2011. Comme dans la plupart des centres de vote installés dans les régions rurales, des bureaux de vote « en kit » fournis par la Commission nationale électorale comprenant des isoloirs en carton, des dossards pour identifier les responsables du bureau, des urnes en plastique à sceller et des banderoles pour délimiter physiquement le bureau, sont installés en plein air sous des arbres. Les résultats définitifs publiés le 7 février donnent un pourcentage de 98,83 % en faveur de l’indépendance
Photo de Matthias Biesemans, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.

En janvier 2005, après plus de vingt ans de guerre, un accord de paix, le Comprehensive Peace Agreement (CPA), était signé entre le National Congress Party (NCP), le parti hégémonique du Nord-Soudan et le Sudan People’s Liberation Movement (SPLM), le mouvement rebelle majoritaire dans le Sud. Cet accord prévoyait une répartition des pouvoirs entre ces deux formations politiques et excluait du partage les autres mouvements rebelles présents dans le pays, notamment au Darfour, mais également les autres partis d’opposition du Nord comme du Sud. Le texte accordait notamment le poste de vice-président du pays au leader du SPLM. Dès lors, le 8 juillet 2005, John Garang arrivait à Khartoum pour prêter serment comme nouveau vice-président du Soudan le lendemain. Garang avait toujours été favorable à l’unité du Soudan. Pourtant, face à l’intransigeance des autorités de Khartoum et aux pressions internes de son mouvement, il avait finalement accepté l’idée qu’une consultation populaire des Sud-Soudanais soit prévue par le CPA pour déterminer le maintien ou non de la région dans le pays. Sa mort brutale dans un accident d’hélicoptère, le 30 juillet 2005, à peine trois semaines après sa prise de fonction comme vice-président, fit craindre une reprise de la guerre. De violentes émeutes éclatèrent notamment à Khartoum à l’annonce de l’accident. Salva Kiir succéda néanmoins à Garang et devint vice-président pendant toute la période intérimaire. Élu en 2010 après des élections générales qui connurent de nombreuses fraudes au Sud (surtout pour les postes de gouverneurs), il est aujourd’hui président du nouvel État. Les deux alliés du CPA réussirent donc à passer l’épreuve et maintenir le cap fixé dans l’accord de paix. Le camp de l’unité du Sud dans un nouveau Soudan perdait néanmoins son principal partisan et sans surprise, aux termes d’une période intérimaire de six ans, le SPLM plaidait en faveur de la séparation de la région
Photo d’Ali et Safa Dahab, Khartoum, 8 juillet 2005.

Le taux de participation au référendum sur l’indépendance du Sud prévu par les accords de paix passés en janvier 2005 dépassa les 98 %. Associée aux résultats du référendum, cette participation record, représentée sur cette photographie par cette longue file de personnes attendant de pouvoir voter, témoigne de la volonté des Sud-Soudanais de conquérir littéralement leur indépendance. Le taux de participation souligne également le manque d’alternative crédible à un projet dans lequel le Soudan serait resté uni. Pendant les mois précédents le vote, le SPLM a battu campagne au Sud avec beaucoup de ferveur tandis que le NCP, son associé du Nord dans l’accord de paix signé en 2005, fut beaucoup plus timide par peur notamment des représailles dans un Sud entièrement contrôlé par le SPLM pendant la période intérimaire prévue par le CPA
Photo de Raphaëlle Chevrillon-Guibert, près de la route reliant Aweil et Akuen, Bahr el-Ghazal septentrional, janvier 2011.