Football et politique d’État

par Joseph-Antoine Bell

Nicolas Courtin : Que représente cette première Coupe du monde de football organisée en Afrique ?

Joseph-Antoine Bell : C’est quelque chose de grand dans la mesure où la Coupe du monde et le football étaient, jusqu’à très récemment, quelque chose de lointain pour les Africains et l’organisation de la Coupe, encore plus. En Afrique, il n’y a pas si longtemps, tout le monde n’avait pas la télévision. Il fallait attendre des mois après la finale pour voir des images de la Coupe du monde… au cinéma. La Coupe du monde 1970, gagnée par l’équipe du Brésil et le roi Pelé, en tout cas au Cameroun, était regardée au cinéma, et non à la télé. De plus, participer à une Coupe du monde était perçu à l’époque comme quelque chose d’improbable. Pour beaucoup de pays africains, et pour ses représentants, participer à la Coupe du monde relevait du domaine du rêve.

NC : Une équipe africaine peut-elle gagner la Coupe du monde ou que manque-t-il à une équipe africaine pour gagner la coupe ?

JAB : Comme on dit, mais on ne le dit jamais clairement, « Si l’Afrique s’organise, alors». Cependant, l’organisation ne vient pas de l’opération du Saint-Esprit. L’organisation relève de la capacité des individus à la faire. Il n’y a pas de raison que les gens s’organisent du jour au lendemain. Tout le monde peut avoir des joueurs de talent, mais le football ne commence pas par les footballeurs, il commence avec les dirigeants, qui les poussent et doivent organiser les choses. Malheureusement, tout le monde commet l’erreur de croire que la confrontation se limite aux joueurs. Si les pays et si les citoyens, de manière quasiment spontanée, soutiennent leur équipe, c’est parce que ces jeunes gens projettent l’image du pays. Il faut donc bien prendre conscience que, lorsqu’ils gagnent, c’est tout le pays qui est perçu comme ayant gagné. Lorsqu’ils gagnent, cela signifie que derrière les sportifs, il y a des gens qui ont su mettre en place les conditions de la victoire.

NC : Au niveau du jeu, des particularités techniques, qu’apporte le football africain au football mondial ?

JAB : En fait, les footballeurs africains avaient généralement les qualités de leurs défauts : ils n’étaient pas sortis d’un moule particulier. Ils avaient appris à jouer au foot tout seul. Généralement ils sentaient les choses. Ils faisaient des choses surprenantes, mais pas toujours académiques. Ils pouvaient même dans certains cas avoir des gestes qui allaient à l’encontre de l’orthodoxie technique mais qui réussissaient. La différence est née de cela. Malheureusement pour les africains, aujourd’hui, l’uniformisation du football mondial a tendance à gommer ces particularités. Ils n’ont pas pris eux-mêmes le temps d’analyser leurs propres succès dans ce domaine là. Ils n’ont pas su codifier ces spécificités, pour éventuellement leur permettre de se répéter. Le football africain subit actuellement l’invasion de l’étranger qui lui expose des canevas qui sont dans les canons habituels, avec des résultats prévisibles. Nous allons voir désormais des footballeurs africains qui ressemblent à tout point de vue à des footballeurs européens. Il n’y a plus de gestes, de données propres et de particularités du football africain, en dehors de ce cliché de la force physique.

L’Afrique n’a jamais regardé dans ses propres enfants. Elle n’a jamais su penser son avenir. Personne n’a pensé au fait que si les enfants jouent au foot, il nous faut des encadreurs africains. Non seulement, il y a une nécessaire remise en cause par les dirigeants de la manière de faire, mais aussi de la manière de voir le football africain. Ils doivent être capable de comprendre les problèmes avant qu’ils ne se posent et appréhender le contexte spécifique du football africain.

Entretien, jeudi 11 mars 2010.