Boko Haram et le lac Tchad

par Christian Seignobos

En janvier 2015, Boko Haram dévaste Baga Kawa sur les rives méridionales du lac Tchad. Après l’élection en avril 2015 de Muhammadu Buhari, le gouvernement nigérian sort de son apathie et, en dépit d’un outil militaire encore défaillant, cherche à reconquérir du terrain sur le groupe armé. Les voisins nigérien, tchadien et camerounais sont appelés à contenir les débordements de Boko Haram sur leurs frontières respectives. Seul le Tchad est autorisé à exercer un droit de poursuite. Après avoir été un pôle de développement économique sans pareil, les rives du lac Tchad connaissent une crise foncière sur fond de revendication d’autochtonie, situation que Boko Haram, qui essaie de mobiliser les populations de l’ancien Bornou sous son égide, va exploiter. L’irruption de Boko Haram dans ce milieu palustre si particulier, qu’aucun encadrement politique extérieur passé ou actuel n’a réussi à contrôler, représente une véritable menace pour la région. Et si Boko Haram faisait du lac son sanctuaire ’




Cartes et photos associées
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À nouveau en eau depuis 2000, la cuvette nord du lac Tchad accueille aujourd’hui des groupes Boko Haram. Ils se faufilent dans les Prosopis juliflora, mimosaceae qui ont colonisé lors de la période d’assèchement antérieur. Une fois envahie par l’eau, cette forêt morte de Prosopis au bois résistant a créé des espaces lacustres souvent impénétrables. Ces arbres épineux buissonnants mais à cime étalée se maintiennent longtemps, y compris morts, et en s’affaissant ils créent des grottes, voire des tunnels sur l’eau. Au second plan, la pirogue possède une tonnelle pour se protéger des drones.

Dessin de Christian Seignobos, 2015.

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Le lac Tchad, théâtre des actions de Boko Haram, 2015

Cette carte localise les lieux transfrontaliers de combats et d’affrontements de Boko Haram en 2015, les mouvements effectués par ses groupes armés, ainsi que les attentats perpétrés. Elle montre l’investissement du lac par Boko Haram et les espaces d’implantation possible. Cette évolution notable prouve qu’au cours de l’année 2015 le lac Tchad n’est pas uniquement devenu pour les groupes un espace lacustre refuge, mais également une zone stratég

Source : Données et conception de Christian Seignobos (2015). Édigraphie, 01/2016.

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Répartition des populations du bassin du lac Tchad, 2015

Loin d’être ethnique, cette carte montre le cosmopolitisme des populations vivant dans et autour du lac Tchad. En 1976, la population autour du lac comptait 0,7 million d’habitants et, en 2013, 2,2 millions d’habitants plus densément répartis au sud. Ces populations venues de tout l’hinterland méridional du lac sont rejointes par des groupes saisonniers de pêcheurs – certains de l’Afrique de l’Ouest – et d’éleveurs de la zone sahélienne voisine.

Sources : G. Magrin, J. Lemoalle, R. Pourtier (dir.), Atlas du lac Tchad, IRD/Éditions Passages, 2015, p. 71. Édigraphie, 12/2015.

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Sur un « hors-bord » lacustre, un groupe de plus de vingt combattants Boko Haram longe une papyraie, avec à l’arrière une forêt d’ambaj. Ces très longues pirogues peuvent transporter des hommes, tout comme le transport de troupes privilégié du groupe djihadiste : la moto. Pour renforcer la solidité des bateaux, de longs tuyaux de plastiques sont fixés sur les deux bords. La difficulté de circulation dans le dédale changeant de ces végétations palustres jointe à la dimension transfrontalière du lac offre à Boko Haram un terrain propice pour lancer ses attaques.

Dessin de Christian Seignobos, 2015.

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Hydrologie et végétation du lac Tchad, 2015

Pour comprendre les atouts que le lac Tchad représente pour Boko Haram, il faut en appréhender les caractères géographiques, physiques et humains. Les deux cuvettes nord et sud communicantes enregistrent des profondeurs maximales respectives de 5,3 m et de 2,7 m. On assiste, depuis 1973, à un fonctionnement « petit lac », constitué de plusieurs plans d’eau séparés par des hauts fonds dont la Grande Barrière scindant les deux cuvettes. Les eaux libres (1700 km2) font face à l’embouchure du Chari. Cette surface d’eaux libres prolongée de marécages, saisonniers ou permanents, déborde de toute part, alors qu’elle est rarement comptabilisée par les images satellitaires. Elle peut porter l’ensemble à 13 000 km2. Une végétation de marécage couvre ainsi la majeure partie du lac. La difficulté de circulation dans le dédale changeant de ces végétations palustres jointe à la dimension transfrontalière du lac ont toujours fait de lui une « zone de non-droit ».

Sources : G. Magrin, J. Lemoalle, R. Pourtier (dir.), Atlas du lac Tchad, IRD/Éditions Passages, 2015, p. 24. Édigraphie, 01/2016.

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Carte de situation en 2015

Cette carte situe le phénomène armé Boko Haram dans sa dimension géographique transfrontalière entre le Nigeria, le Niger, le Tchad et le Cameroun. Elle montre également les zones où s’exerce la pression des groupes de Boko Haram.

Source : Données et conception de Christian Seignobos (2015). Édigraphie, 01/2016.

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