« Mayotte département », la fin d’un combat ?

par Mamaye Idriss

La départementalisation de Mayotte, en mars 2011, est venue satisfaire une des plus vieilles revendications portées par le Mouvement populaire mahorais (MPM). Une rétrospective sur le combat de ce parti méconnu et sur les origines de cette revendication s’impose. La posture francophile adoptée par le MPM, dès sa formation, témoigne en effet de pratiques politiques originales. L’étude de ses différents discours et de ses pratiques permet de mieux comprendre l’enjeu que constituait l’accession au statut de département français et sur quels fondements reposait cette revendication.




Cartes et photos associées
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Leaders du MPM en campagne pour l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Cette photographie, prise par Pierre Pujo, directeur de la revue royaliste et nationaliste Aspects de la France et partisan « Mayotte française », a été publiée dans cette même revue en juin 1975. Lors des élections présidentielles de 1974, les leaders du MPM menèrent campagne pour Valéry Giscard d’Estaing. On discerne sur la photo Marcel Henry et Adrien Giraud, du côté droit de l’affiche, ainsi que Zaïna Méresse, à leur pied. Au premier tour, les élus du MPM avaient appelé à voter Jacques Chaban-Delmas, tout comme le parti gouvernemental local. Ce n’est que peu de temps avant le scrutin que les leaders du mouvement firent volte-face pour diriger leurs voix en faveur de Valéry Giscard d’Estaing, tandis que les partis de l’opposition se prononçaient pour François Mitterrand. Les élections nationales étaient l’occasion pour le politique MPM de marquer son opposition au gouvernement local et démontrer sa capacité de mobilisation en portant ses voix vers les candidats délaissés par le parti gouvernemental. Le RDPC, parti de l’opposition et allié un temps du MPM, avait recours à ce même procédé durant les élections législatives et présidentielles. Les élections présidentielles de 1974 poursuivirent cet ordre des choses à quelques différences près. Face à la neutralité du gouvernement local, le second tour se déroula sans réelle volonté de démarcation de l’opposition mahoraise. Valéry Giscard d’Estaing était aussi soutenu par le Mouvement de l’unité des Comores, le parti Udzima. Il l’emporta avec une avance confortable sur François Mitterrand avec 74,28 % des voix contre 25,62 %.

Photo de Pierre Pujo, « Le président ingrat », Aspects de la France, 19 juin 1975, p. 1.

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Les consultations statutaires de 1974 et 1976

Cette carte a été réalisée à partir des données recueillies par l’auteure sur les résultats des deux consultations statutaires du 22 décembre 1974 réalisés dans l’ensemble du territoire des Comores et du 8 février 1976 à Mayotte. La liste des bureaux de vote a été harmonisée afin de pouvoir les comparer. Ces résultats, obtenus par le biais des archives, diffèrent que de peu des résultats officiels. Cette représentation cartographique montre premièrement les pourcentages de vote obtenu à Mayotte lors des référendums de 1974 et de 1976 pour rester dans le giron de la République française ; et deuxièmement les taux d’accroissement entre ces deux consultations. Passant d’une moyenne de 65,32 % en 1974 à 99,4 % en 1976 contre l’indépendance, six bureaux de vote obtiennent 100 % de voix pour le maintien de Mayotte sous administration française, tandis que le reste des bureaux oscille entre 97,6 % et 99,9 %. Les conditions de vote entre ces deux consultations, plus particulièrement pour les partisans de l’indépendance à Mayotte, incarnés par le mouvement serrer-lamain, se posent de manière tangible.

Source : Idriss, M. (2011), « Le Mouvement populaire mahorais. Le combat pour Mayotte française (1958-1976) », mémoire de Master 2 d’histoire, université Paris-1 (Panthéon- Sorbonne).

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« Nous voulons rester Français pour être libres. » Cette photographie semble avoir été prise à l’occasion de la manifestation organisée lors de la venue d’une commission parlementaire aux Comores, du 11 au 17 mars 1975. Elle a été publiée dans le numéro 29 (1993) de la revue Jana na Leo. Cette revue, qui n’existe plus, donnait largement la parole aux partisans d’une « Mayotte française ». Toutefois, on y trouve d’intéressants témoignages d’acteurs politiques de la période qui précède l’indépendance des Comores (1960-1975).

Dans ses bulletins mensuels de renseignement, Henri Beaux, délégué général de la République aux Comores, rapporte qu’elle avait été accueillie à Mayotte par près de 5 000 manifestants. Aux banderoles « Nous voulons rester Français pour être libres » s’ajoutaient celles, plus critiques à l’encontre du président du Conseil de gouvernement, Ahmed Abdallah : « L’indépendance ne doit pas être une tyrannie. » Ce nouvel angle d’attaque du MPM intervenait suite aux résultats de la consultation du 22 décembre 1974, où une très grande majorité des Comoriens de l’archipel s’étaient prononcés pour l’indépendance. Tout comme pour l’ensemble des partis de l’opposition (le Pasoco, le Pec, le RDPC et l’UMMA, constitués en Font national uni), l’indépendance était perçue par les dirigeants du MPM comme la voie directe à l’instauration d’un régime dictatorial au sein duquel Ahmed Abdallah détiendrait tous les pouvoirs. Le flambeau de la liberté constitua la parade ultime portée par le MPM : c’était parce que les Mahorais voulaient être libres qu’ils refusaient l’indépendance. Cet argument ne pouvait laisser insensibles les représentants de l’État français, défenseur des libertés individuelles.

Photo anonyme, « Une revendication vieille de trente-quatre ans (photos d’archives) », Jana na Leo, n° 29, 1993, p. 10.

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Les anciens combattants, symboles de la francophilie mahoraise. Cette photographie a été prise par Pierre Pujo, fils de Maurice Pujo, cofondateur à la fin du xixe siècle avec Charles Maurras de la Revue d’action française et fondateur des Camelots du roi, a été publiée dans la revue royaliste Aspects de la France en octobre 1975, dont il est le directeur. Essayiste et journaliste nationaliste et royaliste, Pierre Pujo a pris parti contre l’indépendance de l’Algérie et a lutté pour le maintien de Mayotte dans le giron français dans les années 1970.

Sur ce cliché, la figure de l’ancien combattant est exaltée par le photographe. Cet ancien combattant mahorais de la Seconde Guerre mondiale symbolise la fidélité toujours affichée par le MPM de la population mahoraise envers la France. La francophilie mahoraise transparaît dans la plupart des écrits du MPM. Ainsi, d’après le discours officiel, les Mahorais vouaient une affection et une fidélité sans pareille à la France depuis 1841. Ils furent de tous les combats et versèrent leur sang tant pour défendre le territoire métropolitain lors des deux conflits mondiaux que pour défendre l’empire. Notamment, l’armée française intervint à Madagascar pour mettre fin à la révolte de 1947. Cet ancien combattant a non seulement risqué sa vie pour la France, mais encore il affiche, par son habillement, une occidentalisation remarquable. Le pantalon et la chemise ont remplacé la tunique de rigueur. Mis à l’honneur, les anciens combattants incarnent ainsi cette volonté mahoraise de se maintenir Français et ont valeur d’exemple dans le combat pour « Mayotte française ». Les objectifs du MPM sont ainsi légitimés comme le point d’achèvement d’un mouvement historique ayant traversé les siècles, le MPM ne faisant que poursuivre l’œuvre de ses aïeuls. Cette analyse se trouve au fondement du dogme départementaliste.

Photo de Pierre Pujo : « Cet ancien combattant de deux guerres mondiales ne connaît pas d’autres partis que la France », Aspects de la France, 16 octobre 1975, p. 7.

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