Les diamants (de Bokassa) sont éternels

par Jean-Pierre Bat

Bois « sacré » du domaine réservé du chef de l’État sous la Ve République, l’Afrique est passée du « secret du roi » incarné par Jacques Foccart aux feux médiatiques des scandales. Ce changement de registre, dont « l’affaire des diamants » constitue l’archétype, a profondément altéré l’interprétation de la politique africaine de la France. Pensée comme le socle du programme d’indépendance nationale imaginée par le général de Gaulle, elle a été réduite à une succession d’affaires, parsemées des ombres inquiétantes de « barbouzes ». L’archéologie du récit (médiatique) de la « Françafrique » doit permettre de comprendre le « syndrome Foccart », par-delà les fantasmes attachés à la cellule africaine de l’Élysée vue comme la plus secrète boîte noire de la République.




Cartes et photos associées
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Lors de la séance plénière de la 10e Conférence des chefs d’État de France et d’Afrique (3 et 4 octobre 1983), dans la salle des séances du casino de Vittel, François Mitterrand et Guy Penne écoutent la réponse du président du Zaïre Mobutu Sese Seko suite au discours du président français. François Mitterrand avait nommé Guy Penne conseiller auprès du président de la République pour les affaires africaines et malgaches de 1981 à 1986. Devenu le « Monsieur Afrique » de l’Élysée – surnommé le « Foccart de Gauche » –, il acquiert une solide connaissance du continent africain et s’attache à maintenir des liens étroits entre la France et les chefs d’État africains. Mis en cause dans une affaire de détournement de fonds publics, Guy Penne démissionne ; il est remplacé par son adjoint, Jean-Christophe Mitterrand. En 1999, il reviendra sur ses expériences dans un livre témoignage : Mémoires d’Afrique, entretien avec Claude Wauthier, Fayard, 1999.

Photo de Pierre Fernandez et de François-Xavier Roch, ECPAD, F 83 445 LC 117, 3 octobre 1983.

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Prise le 23 juillet 1969, lors de l’apéritif donné par M. Debré, ministre d’État chargé de la Défense nationale, à l’occasion de la visite officielle du président gabonais Albert Bongo, cette photographie montre Réné Journiac conversant avec les hôtes du ministre. Chargé de mission au secrétariat général de la Communauté dès 1958, René Journiac devient ensuite conseiller « Afrique » de Georges Pompidou à Matignon. En 1967, Jacques Foccart l’appelle pour remplacer son conseiller technique, Alain Plantey, nommé ambassadeur à Tananarive. Sitôt élu, Valéry Giscard d’Estaing dissout le service de Jacques Foccart et invite ce dernier à sortir par la petite porte. Soucieux toutefois d’une continuité minimale, il conserve de l’équipe sortante René Journiac pour liquider le Secrétariat général et les affaires courantes. En 1974, c’est donc l’un des meilleurs disciples de Foccart qui prend en main les affaires africaines auprès de Giscard. Mais rapidement, le président réalise la place essentielle qu’il occupe pour la gestion du domaine réservé et lui accorde une équipe réduite qui fonde la célèbre « cellule Afrique ».

Photo de Boboli, ECPAD, F 69 303 R 11, 23 juillet 1969.

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Troisième sommet franco-africain du premier président socialiste de la Ve République, François Mitterrand, la Conférence des chefs d’État de France et d’Afrique de Vittel des 3 et 4 octobre 1983 est le 10e sommet franco-africain depuis les indépendances. Elle réunit 36 participants dont 24 chefs d’État (1er rang de gauche à droite : Siaka Stevens de la Sierra Leone, Gnassingbé Eyadéma du Togo, Sir Daouda Jawara de la Gambie, Félix Houphouët-Boigny de la Côte d’Ivoire, François Mitterrand, Sékou Touré de la Guinée, Mobutu Sese Seko du Zaïre, Omar Bongo du Gabon, Denis Sassou-Nguesso du Congo, Mohamed Khouna Ould Haidalla de la Mauritanie ; 2e rang de droite à gauche : Abdou Diouf du Sénégal, Moussa Traoré du Mali, Seyni Kountché du Niger, Hissène Habré du Tchad, personne non identifiée, Ahmed Abdallah des Comores, Juvénal Habyarimana du Rwanda et Jean-Baptiste Bagaza du Burundi ; 3e rang : Thomas Sankara du Burkina Faso en béret rouge, Mathieu Kérékou du Bénin, Hassan Gouled Aptidon de Djibouti, Jao Bernardo Nino Vieira de Guinée-Bissau, Obiang N’Guema N’Basogo de Guinée Équatoriale, France-Albert René des Seychelles et Siyad Barre de Somalie), un chef de gouvernement (Aneerood Jugnauth de l’île Maurice) et onze délégations ministérielles (Angola, Égypte, Kenya, Liberia, Maroc, São Tomé & Principe, Soudan, Tanzanie, Tunisie, Zambie, Zimbabwe)

Photo de Pierre Fernandez et de François-Xavier Roch, ECPAD, F 83 445 LC 364, 3-4 octobre 1983.

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Prise au cours de la célèbre garden party de l’Élysée organisée les 14 juillet, cette photographie, datée de l’année 1970, montre le président de la République Georges Pompidou marchant dans les jardins du Palais de l’Élysée accompagné de Jacques Foccart. « Monsieur Afrique » incontesté des deux premiers présidents de la Ve République, le secrétaire général pour les Affaires africaines et malgaches poursuit la gestion du pré carré jusqu’en 1974 et l’élection de Valéry Giscard d’Estaing

Archives nationales, 5 AG 2 / 978, n° 18811, Palais de l’Élysée, 14 juillet 1970.

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En 1960, Jacques Foccart imagine une doctrine du « pré carré » – le terme est employé pour la première fois en 1673 par Vauban qui écrit à Louvois : « Il faudra penser à faire votre pré carré. » L’idée est simple : il existe un domaine d’influence française, qui est le périmètre de ses quatorze anciennes colonies d’Afrique, dont elle doit assurer la sécurité, vis-à-vis des ingérences tant de l’Est que de l’Ouest. Trois volets permettent de structurer cette influence : les accords secrets de défense, la coopération militaire et la politique sécuritaire au quotidien. L’amitié franco-africaine, c’est-à-dire la protection des chefs d’État, la garantie de leur sécurité politique, mais aussi physique, est la clé de voûte du pré carré. Dans le contexte de la guerre froide, la France rappelle que si elle a une capacité, il s’agit bien de la sécurité en Afrique. Telle est la véritable puissance française postcoloniale : dire qu’elle est capable de maintenir, soit par lecture de pré carré, soit par lecture anticommuniste, cette sécurité en Afrique. À partir de 1975, Valéry Giscard d’Estaing arrive avec cette nouvelle cartographie. La France n’est plus comptable du pré carré, mais devient véritablement le glaive anticommuniste dans la guerre fraîche. Nous avons donc un changement d’espace géographique et un changement de doctrine

Source : J.-P. Bat, Le Syndrome Foccart. La politique française en Afrique, de 1959 à nos jours, Paris, Gallimard, coll. « Folio histoire », 2012.

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Cette photographie a été prise au cours du premier voyage officiel en France du général président Jean-Bedel Bokassa (11 au 14 février 1969). Jacques Foccart tend un verre au président africain lors d’une réception donnée à l’hôtel de Noirmoutier. Avant d’être reçu avec tous les honneurs par la République française, Jean-Bedel Bokassa a connu une trajectoire de carrière « type » pour de nombreux militaires coloniaux africains de l’armée française. Enfant de troupe, sous-officier de la coloniale et vétéran de la Seconde Guerre mondiale et des guerres coloniales, le capitaine Bokassa est reversé à l’armée centrafricaine en 1962. Promu aussitôt au grade de colonel, il est nommé conseiller militaire du président Dacko (1962-1964), puis chef d’état-major de la Défense nationale (1964-1966). Dans la nuit de la saint Sylvestre 1966, il renverse Dacko avec l’aide du colonel Banza. Devenant tour à tour général, président à vie (1972) et maréchal (1974), il demeure le meilleur allié de la politique française en Centrafrique face aux menaces d’infiltration de l’Est comme de l’Ouest. Si le général de Gaulle ne l’appréciait pas, Bokassa n’en a pas moins été reçu en visite officielle en 1969, l’adoubant ainsi dans le club des « chefs d’État amis de la France ». Il obtient que la République française accepte et organise son couronnement comme empereur de Centrafrique le 4 décembre 1977. Dans la nuit du 20 au 21 septembre 1979, sur instruction de l’Élysée, des parachutistes français profitent de son voyage officiel à Tripoli pour débarquer à Bangui et procéder à son renversement

Photo d’André Branlard, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD), F 69 33 R 104, février 1969.

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