L’idée de Constitution en Afrique

par Dodzi Kokoroko

L’Afrique, dit-on, est un laboratoire en matière constitutionnelle. La preuve en est les nombreux textes constitutionnels, adoptés de 1960 à 2012, conformément aux standards admis. Cependant, comment les applique-t-on ?

Si je veux l’expliquer dans l’optique augustinienne, je ne sais plus au regard des difficultés d’appropriation et de conception du pouvoir politique. On imagine sans peine la difficile acclimatation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en Afrique qui dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution. » Il en va ainsi, non pas que les sociétés politiques africaines aient été réfractaires à toute régulation avant la période des indépendances ou que les gardiens des textes constitutionnels, depuis 1960, soient toujours aux abonnés absents. Les ratés de la mécanique sont récurrents, lesquels abîment la majesté des textes constitutionnels. Les particularités de l’État en Afrique et les lectures politico-juridiques résultantes semblent expliquer les ratés. Si on admet qu’on ne change pas les habitudes politiques avec des mécanismes tous aussi sophistiqués que rudimentaires, redorer la grandeur des textes constitutionnels passe indubitablement par une révolution des mentalités, mettant en jeu des institutions fortes.

Présenter les grandes saisons constitutionnelles

L’espace politique africain a fait corps en 1960 avec une idée de Constitution importée. L’enjeu se cristallisait autour de la greffe constitutionnelle. À la vérité, celle-ci n’a pas véritablement pris, en raison de la résurgence des coups d’État militaire dont l’acmé a été le présidentialisme négro-africain, un système politique « présumé » conforme aux réalités africaines. Il n’en demeure pas moins que le présidentialisme n’a pas non plus su réaliser ses fins, justifiant le printemps des libertés des années 1990. Les nouveaux textes constitutionnels ayant essaimé faisaient théoriquement sortir l’Afrique du « jurassik park des sociétés politiques anachroniques ». Ce cycle constitutionnel reste toutefois tiraillé entre l’universalisme des mœurs politiques et le ghetto des particularismes culturels. Le dénominateur commun des textes constitutionnels issus des différentes trajectoires constitutionnelles précitées repose sur la souveraineté nationale et populaire, la promotion et la protection des droits et libertés et la séparation des pouvoirs. Ils révèlent la « toute puissance » du chef de l’État. Ce dernier reste un homme aux pouvoirs extraordinaires qu’il exerce hors des limites ordinaires. La transversalité du système politique équilibré en pouvoir et contre-pouvoirs se retrouve presque entamée.

Tracer des perspectives pour des adaptations indispensables

La toute-puissance du chef de l’État, construite sur une présidence ad vitam aeternam, influe sur le respect des textes constitutionnels, tel qu’originairement pensé par le peuple. « Tout part de lui et revient toujours à lui », et l’on admettra sans peine que les textes constitutionnels, loin d’être la Bible, ne sont plus touchés avec les mains tremblantes tel que l’enseignait Charles de Montesquieu. Le Sénégal du président Abdoulaye Wade, le Gabon du président Omar Bongo, le Togo du président Eyadéma Gnassingbé ou le Zimbabwe du président Robert Mugabé, etc., en demeurent des exemples typiques.

Cependant, en œuvrant ainsi, les textes perdent de leur superbe aux yeux des acteurs relégués à la périphérie et deviennent le cadre de pouvoir et d’oppression pour ceux au cœur du système politique. Une telle configuration offre un terreau éminemment fertile à des crises politiques préjudiciables à leur majesté. La résurgence des coups d’État militaire, électoral et constitutionnel, la prolifération des accords politiques liée à l’impossible régulation du jeu politique par les textes, la constitution des gouvernements d’union nationale et la violation des droits de l’homme en sont confirmatifs.

Quelle est-sera donc la meilleure Constitution pour l’Afrique ?

On est tenté de répondre dans la lignée du sage Solon : pour quel peuple, quel État et quelle époque ? Peut-être le temps et l’expérience constitutionnelle (valeurs ou cultures constitutionnelles ?) permettront à l’Afrique de vivre son idée de Constitution ou montre-t-elle déjà la meilleure idée de Constitution ? Loin s’en faut… En définitive, si l’Afrique se distingue déjà par le pluralisme politique en matière constitutionnelle (« Le pouvoir arrête le pouvoir »), il faudrait encore qu’elle l’intègre dorénavant dans son ingénierie constitutionnelle : « L’ethnie arrête l’ethnie. » Voici, peut-être, la perspective pour aujourd’hui et demain au service d’une Afrique chantant les mérites des textes constitutionnels.