Football et politique |
En 1965, premier joueur d’origine africaine à obtenir le « Ballon d’or » décerné depuis 1956 par l’hebdomadaire France Football au meilleur joueur… européen, Eusebio incarne parfaitement l’individu-footballeur, acteur de son destin, et élevé au rang de patrimoine national sous la dictature de Salazar. Issu d’une famille très modeste de huit enfants, orphelin d’un père mécanicien dans les chemins de fer, Eusebio Da Silva Ferreiro est repéré à l’âge de dix-neuf ans dans les petits clubs de Lourenço Marquès où il se joue des défenses adverses. Le Sporting et Benfica se disputent cet avant-centre de talent et c’est sa mère qui tranche en signant pour son fils, encore mineur, son premier contrat professionnel en faveur de Benfica. Il fait ses premiers pas dans l’équipe à la fin de la saison 1960-1961 et participe au deuxième succès en Coupe d’Europe en marquant deux buts en finale face au Real Madrid (victoire finale 5-3). Et surtout, en 1966, il devient la véritable « star » de la Coupe du monde de football détrônant même le « roi » Pelé après la victoire 3 à 1 du Portugal sur le Brésil au premier tour, puis en remettant à flot la sélection du Portugal menée 3-0 par la Corée du Nord en quart de finale en marquant quatre buts permettant d’arriver à une victoire finale par 5 à 3. Battue de peu par l’Angleterre (1-2) en demi-finale, l’équipe du Portugal, dont sept éléments étaient d’origine africaine, s’adjugea finalement la troisième place aux dépens de l’URSS (2-1).
Eusebio achève la compétition avec le titre de meilleur buteur (neuf réalisations) et le surnom aux relents un peu colonialistes « trouvés » par la presse anglaise de « panthère noire ». Il sert malgré lui de vitrine, à l’instar d’une Amalia Rodrigues star internationale du fado, au régime de Salazar à un moment où ce dernier s’enlise dans les guerres de décolonisation. En 1962 est créé le Front de libération du Mozambique (Frelimo) qui s’était lancé en 1964 dans la lutte armée, trois ans après les guérilleros de Guinée-Bissau et un an après ceux de l’Angola. Dès lors, Salazar en personne affirme qu’Eusebio appartient au patrimoine national portugais et oppose son veto à tout transfert vers l’Italie et la Juventus Turin, sans que la situation économique du joueur soit particulièrement valorisée.
Eusebio et ses camarades sont exhibés comme les meilleurs produits du « lusotropicalisme » et comme des incarnations de la société « pluriraciale », soi-disant égalitaire. Alors que la lutte très violente contre la « subversion » passe par l’envoi de renforts lourdement armés, l’organisation de l’émigration de dizaines de milliers de familles de paysans portugais vers l’Angola et le Mozambique mais aussi un effort de promotion sociale et éducative des populations de couleur est engagée par la métropole portugaise.
Aussi, afin de les préserver de la contagion révolutionnaire, les footballeurs portugais sont toujours accompagnés dans leurs déplacements à l’étranger, notamment derrière le rideau de fer, par des agents de la Police internationale de défense de l’État (PIDE), la police politique du Portugal. Eusebio n’en tient pas rigueur à Salazar et prend même sa défense : « Salazar aimait son pays – assure-t-il en mai 2008 à des journalistes suisses – et, pour autant que je sache, il n’a volé personne et est mort pauvre. »